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Les batteries, un choix toujours gagnant pour le climat ?

Les batteries sont au cœur de la stratégie de l’Union européenne pour décarboner son économie et son système énergétique. Cette solution technologique s’inscrit cependant dans une réalité socio-économique complexe qui force les chercheurs à la réinventer en permanence.

[Ce texte a été publié à l’occasion de la parution en couverture de Nature Sustainability d’un article du Pr Jean-Marie Tarascon, titulaire de la chaire Chimie du solide et énergie]

Comme nombre de secteurs économiques, le marché automobile français a montré grise mine ces deux dernières années, touché de plein fouet par la crise sanitaire liée à la Covid-19 et la pénurie de puces électroniques. Un segment a pourtant sorti son épingle du jeu. La vente de véhicules électriques a bondi d’environ 46% jusqu’à atteindre 10% de part du marché en 2021 (France Info). Du jamais vu. L’électrification de nos voitures est en marche, poussée par une volonté forte du gouvernement français et de l’Union européenne. Au cœur de cette transformation se trouvent les batteries, ou accumulateurs, qui remplacent inexorablement les moteurs thermiques et permettent de faire rouler nos véhicules à l’électricité. En plus cette application, les batteries sont une solution viable pour stocker massivement l’électricité issue des énergies renouvelables (solaire et éolien notamment) et pour la redéployer selon nos besoins.

Néanmoins, les batteries ne sont pas un Saint Graal technologique. Elles s’inscrivent dans un contexte économique, sociale et géopolitique complexe et changeant. Leur utilisation et leur commercialisation doivent s’accompagner d’une réflexion croisée et holistique. Voici quelques exemples. Les batteries sont pensées pour remplacer des moteurs à essence. Si ces batteries se retrouvent alimentées par des centrales à charbon, les émissions indirectes associées seront supérieures à celles d’un moteur en fonctionnement. Par contre, des batteries rechargées par l’énergie solaire ou éolienne permettront un vrai gain environnemental. A titre comparatif, pour produire la même quantité d’énergie, le charbon émet 18 fois plus d’équivalents CO2 que l’énergie solaire et 75 fois plus que l’énergie éolienne (chiffres issus du rapport 2014 du GIEC). Déployer des batteries sans réfléchir au mix énergétique ne sert à rien et pourrait même se révéler contre-productif. De la même façon, que ce soit pour équiper des véhicules électriques ou pour stocker des énergies renouvelables, les batteries sont produites à partir de nombreux métaux (nickel, cobalt et surtout lithium) inégalement répartis à la surface du globe. Or, l’Europe ne possède ni ces ressources sur son sol ni la capacité industrielle de les traiter et de les raffiner. Le lithium, principal composant des batteries par exemple, provient à 86% de trois pays (Agence Internationale de l’énergie) : L’Australie, le Chili et la Chine. Pire, la Chine à elle seule concentre 58% des capacités de raffinage de ce métal. Si l’Empire du Milieu décide de cesser ses exportations de lithium raffiné, la stratégie d’électrification de l’Europe est profondément remise en question.

Face à ces risques et afin de les atténuer, les chercheurs européens, et notamment ceux du Collège de France, orientent leurs recherches selon deux grands axes : Le recyclage et le suivi en temps réel de l’état de santé des batteries. Le recyclage a l’intérêt de modifier la perception que nous pouvons avoir des accumulateurs usagés. Ce qui était considéré comme un “déchet” devient ainsi un gisement potentiel de métaux, qui une fois retraité peut être réinjecté dans la production de nouvelles batteries. C’est le concept de mine urbaine [qui désigne une masse de déchets dont on peut extraire, par des procédés physiques et chimiques, des matières premières qu’ils contiennent]. Le défi technique ici est d’améliorer les solutions de recyclage qui restent pour le moment très énergivores et demandeuses en produits chimiques. Le Pr Jean-Marie Tarascon, titulaire de la chaire Chimie du solide et énergie au Collège de France, défend également l’idée de repenser dès le départ le design des batteries afin qu’elles soient conçues pour être modulables. De cette façon, si une batterie est défaillante, il n’est plus nécessaire de retraiter toute la batterie mais simplement l’élément endommagé.

La capacité de suivi en temps réel de l’état de santé des batteries a aussi un rôle à jouer. En effet, une batterie dont les performances ne lui permettent plus d’alimenter un véhicule électrique peut néanmoins être affectée à une autre utilisation, comme le stockage des énergies renouvelable. C’est ce que les chercheurs appellent la “seconde vie”. Connaître l’état de santé exact de la batterie permet d’optimiser sa réutilisation. Plus ambitieux, un diagnostic efficace et permanent des accumulateurs permettrait d’intervenir immédiatement en cas de problème détecté à l’intérieur même du système de stockage par le biais de réactions chimiques contrôlées et localisées. Cela permettrait d’allonger drastiquement la durée de vie des batteries et donc de réduire leur impact carbone. Si l’Europe a pris énormément de retard face à l’Asie en général, et face à la Chine en particulier, pour les capacités de production en batteries, elle peut encore faire la différence en pariant sur l’innovation de rupture et en garantissant que les batteries du futur soient pleinement “vertes”.

Pour approfondir :

Dans une présentation à l’Académie des sciences en 2020, le Pr Jean-Marie Tarascon a apporté quelques éléments de réponse à la question suivante : “les batteries sont-elles la bonne option pour un développement durable ?”. Un compte-rendu écrit et détaillé de son intervention est en accès libre sur le site de l’institution.

Un article de la BBC (en anglais) revient plus précisément sur la question du recyclage des batteries usagés, un des grands enjeux abordés dans le texte ci-dessus.

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