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Changement climatique, un défi ancien mais à l’ampleur aujourd’hui inégalée

François-Xavier Fauvelle, élu professeur au Collège de France en 2019, chaire Histoire et archéologie des mondes africains, porte pour nous un regard critique sur les réactions face aux changements climatiques des sociétés qui nous ont précédés. Si l’humanité a déjà dû s’adapter, parfois avec succès, à des modifications radicales de son environnement, elle est confrontée aujourd’hui à une évolution sans précédent. Il n’en reste pas moins utile de tirer des leçons de nos expériences passées.

Au regard de l’Histoire, est-ce la première fois que les sociétés humaines doivent s’adapter à des changements climatiques ? Quelles sont les différences avec la situation que nous connaissons aujourd’hui ?

Depuis le début de l’Holocène (voir ci-dessous), les données environnementales et archéologiques montrent que beaucoup de sociétés ont eu à faire face à des transformations de leur environnement. Selon les régions du monde, ces transformations peuvent correspondre au réchauffement du climat, à la fonte des glaces, à la remontée des océans et donc à la régression des littoraux, à l’augmentation des précipitations, ou encore à des extinctions animales. Tous ces phénomènes ne constituent donc pas des faits sans précédents. Mais il y a néanmoins dans le réchauffement que nous connaissons actuellement des caractéristiques inédites à l’échelle de l’histoire humaine. J’en vois trois. D’abord son ampleur sans précédent, qui va encore s’accroître durant les prochaines décennies avant de se stabiliser si nous parvenons à limiter notre empreinte. Ensuite son caractère indiscutablement anthropique : L’accélération du réchauffement est dû à l’émission massive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle. Enfin la conscience globale que nous avons de ce réchauffement et de ses causes humaines : C’est la première fois dans l’histoire que nos sociétés peuvent à la fois observer le phénomène (grâce aux outillages scientifiques), en déterminer les causalités, et se doter d’une volonté et de moyens pour le limiter et en combattre les effets.

L’Holocène désigne l’époque géologique dans laquelle nous vivons actuellement. Elle a débuté il y a 12.000 environ et correspond à une période dite « interglaciaire » relativement chaude qui suit le dernier glaciaire du Pléistocène.

Quelles sont les différentes attitudes adoptées au fil de l’Histoire par les sociétés pour faire face aux catastrophes ?

La crise climatique et sociale à laquelle nous sommes confrontés suscite des vocations prophétiques : « Tu t’adapteras », entend-on, injonction que l’on peut comprendre comme un impératif moral ou comme une profession de foi optimiste en l’avenir. Cependant, dans les deux cas, cet impératif fait appel à ce qui serait une faculté propre à certaines sociétés et pas à d’autres : Leur adaptabilité. Il faut résister, je crois, à cette vision darwinienne qui suppose des gagnants et des perdants. Si une société survit, cela signifie qu’elle s’est de toute façon adaptée d’une manière ou d’une autre. En étant attentifs aux expériences des sociétés passées, nous observons des réponses très différentes aux changements environnementaux. Or, ces choix nous montrent autant de voies possibles pour faire face aux défis d’aujourd’hui. Les sociétés peuvent par exemple « investir » le milieu environnant, qu’il s’agisse de maîtriser l’adduction et la distribution de l’eau dans des lieux en voie d’aridification comme les périphéries sahariennes au Moyen-âge, ou qu’il s’agisse d’inventer aujourd’hui des procédés efficaces de stockage de l’énergie. Il est également possible de « désinvestir » le milieu. C’est ce qu’ont fait les habitants de certaines oasis sahariennes par le passé, en choisissant l’habitat dispersé plutôt que la concentration urbaine. C’est ce que l’on peut faire aujourd’hui en revitalisant les sols artificialisés, ou en sanctuarisant des espaces naturels. Autre voie qu’ont trouvée certaines sociétés : Accentuer la mobilité. Des sociétés anciennes se sont ainsi éloignées des rivages marins en pleine érosion et des bordures d’un Sahara en expansion. Les réfugiés climatiques d’aujourd’hui et de demain ne feront pas autre chose.

Notre identité est-elle la somme de toutes nos adaptations à notre environnement et aux changements vécus ?

Chaque société évolue en-deçà d’un horizon technique et culturel qui est le produit d’une très longue histoire, remontant au Néolithique, de réponses aux contraintes et aux opportunités offertes par l’environnement. A cet égard, la confiance des sociétés occidentales dans les solutions techniques susceptibles de nous sauver est le produit d’une histoire de domination technique de la nature et des autres sociétés. Pourtant, cette confiance est en elle-même une limite si elle nous empêche de mettre en œuvre d’autres réponses possibles, comme le contrôle de la dégradation de l’environnement, une économie plus parcimonieuse et un partage équitable des ressources.

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