[Ce manifeste écrit par le Pr Jean-Marie Tarascon a été publié initialement sur le site de la Fondation du Collège de France]
Confronté à un péril environnemental sans précédent, notre siècle fait face à un défi considérable : mener la transition environnementale et énergétique. L’initiative « Avenir Commun Durable – Environnement, énergie, société » est née de la volonté des professeurs du Collège de France de s’engager et de prendre part à ce combat. Leur ambition : croiser leurs expertises scientifiques, diffuser des données certifiées et alerter sur l’absolue nécessité d’agir. Un texte du Pr Jean-Marie Tarascon, titulaire de la chaire Chimie du solide et énergie, porteur de cette initiative.
Relever le défi de la science pour l’environnement
Le réchauffement record de la planète, la fréquence grandissante des phénomènes météorologiques d’ampleur et la perte accrue de biodiversité font du changement climatique une réalité malheureusement déjà trop tangible qui sape le moral de nos sociétés et compromet le bien-être des générations futures. L’impératif est là : Nous devons agir.
Nos sociétés ont connu plusieurs bouleversements climatiques importants dans le passé (comme le petit âge glaciaire qui a déstabilisé l’Europe au XVIIe siècle) ainsi que de nombreuses autres crises (guerres et pandémies notamment). À chaque fois, d’une façon ou d’une autre, l’humanité a su rebondir. Au vu de son ampleur et de son urgence, en sera-t-il de même pour la crise climatique que nous connaissons ? Cette interrogation laisse perplexe tous les acteurs de nos sociétés modernes. Nos responsables politiques et nos industriels doivent continuellement se réinventer tant les évolutions sont rapides et les nouvelles technologies émergentes incertaines. Il faut inventer la ville de demain : À quoi ressemblera-t-elle ? Il faut réduire drastiquement nos émissions de CO2 : Comment ? Avec quelles technologies ? Grâce à quelles politiques et quels modèles de société ? Quelles que soient les réponses, le changement climatique nous bouscule avec ses impératifs de transition et d’adaptation. Politiques, économistes, industriels et citoyens ont besoin d’informations vérifiées, sûres et non idéologiques pour comprendre et faire les meilleurs choix possibles. Nous devons mettre la science à leur service.
Engager la transition énergétique
Parmi les défis qui nous attendent, la question de l’énergie occupe une place particulière car elle est définitivement un élément vital de nos sociétés (se déplacer et déplacer les biens nécessaires à notre survie, se chauffer, nous éclairer, etc.). La consternation et la cacophonie qui entourent l’augmentation actuelle du prix du gaz et de l’électricité, et impactent le pouvoir d’achat des ménages, montrent que l’approvisionnement et la gestion de l’énergie sont plus que jamais au centre de nos préoccupations quotidiennes. De plus, sur un temps plus long, les réserves limitées en combustibles fossiles et la pollution qui émane de leur utilisation montrent le besoin urgent de passer d’une économie basée sur le pétrole à une économie s’appuyant sur une énergie à faible teneur en carbone et bien plus respectueuse de l’environnement. Si le problème est clairement défini, les réponses possibles à y apporter sont toujours âprement discutées. Le dernier rapport du Réseau de Transport d’Électricité français (RTE) sur les scénarios possibles de production de l’électricité en France pour les années à venir le montre bien. Le 100% énergies renouvelables est possible mais, sans nucléaire, les efforts à fournir pour déployer des éoliennes et des panneaux solaires sur tout le territoire national et les intégrer au réseau actuel seront considérables pour tenir nos engagements climatiques. Et même si nous y arrivons, les consommateurs devront accepter de payer leur électricité plus chère. Nous devrons faire des compromis.
Malgré les difficultés, nous devons rester optimistes. Nous le devons à notre jeunesse qui souffre de plus en plus d’éco-anxiété. Après tout, la crise de la COVID-19 a démontré notre capacité à faire face à l’urgence et à nous mobiliser pour trouver des solutions viables. Le défi qui nous attend peut également nous offrir des opportunités sans précédent. Le déploiement d’une infrastructure énergétique plus résiliente peut conduire à un assainissement de l’air que nous respirons, à une diminution de notre exposition aux particules fines ou encore à un système énergétique plus sûr et moins dépendant de ressources exportées. La transformation du secteur de l’énergie s’appuie sur une gamme de technologies et de nouvelles pratiques qui modifient en profondeur la façon dont l’économie en général fonctionne. Le réseau électrique de demain par exemple va mobiliser plus fortement que jamais les acquis récents et à venir des sciences des données. L’intelligence artificielle et l’apprentissage machine auront ainsi un rôle à jouer dans l’émergence d’un réseau flexible et résilient. Ces nouveaux secteurs dynamiques offrent des opportunités d’emploi et de croissance. À l’opposé, si nous n’agissons pas, les coûts humains et matériels seront considérables.
Les incantations ne suffisent plus, nous devons faire preuve de réalisme
Cependant, encore une fois, une forte incertitude demeure concernant le temps de maturation, voire de l’émergence, des technologies nécessaires à nos ambitions climatiques. Si nous devons politiquement nous montrer offensifs, nous devons garder en tête ce qui est techniquement faisable de faire dans le temps qui nous est imparti. Les incantations ne suffisent plus, nous devons faire preuve de réalisme. La COP26 démontre malheureusement une nouvelle fois la difficulté de faire agir de concert toutes les nations du monde. Les considérations géopolitiques et la compétitivité économique prennent le pas sur l’urgence climatique. Aux modifications radicales de notre environnement, les commentateurs semblent préférer l’affrontement entre les deux superpuissances que sont la Chine et les États-Unis. Combien de temps faudra-t-il encore pour que nos priorités changent ?
Une chose est sûre : la transition vers un nouveau modèle technologique, économique et de société ira de pair avec des nécessités d’adaptation. La transition aura un coût qu’il nous faudra démocratiquement discuter et collectivement supporter. Nous devrons peut-être modifier nos modes de vie et donc agir en conséquence. Qui plus est, le CO2 émis ces dernières décennies restera encore longtemps dans l’atmosphère. Sa durée de vie n’est pas négligeable. L’inertie est telle que le réchauffement aura des conséquences pendant encore quelques années même si toutes nos émissions tombent à 0 aujourd’hui. Nous devons nous préparer à aider les populations les plus vulnérables à faire face aux épisodes climatiques extrêmes.
Le Collège de France : un catalyseur unique pour un avenir commun durable
Les défis liés au changement climatique sont complexes et protéiformes. Les réponses à y apporter ne le seront pas moins. Les questions ne cessent pas de se multiplier : Quelles seront les technologies de l’énergie du futur pour un environnement sain ? Comment réglementer les marchés pour une répartition équitable des richesses et des ressources ? Quel prix donner au CO2 pour compenser en partie les dommages liés à son émission ? De quelles façons nos institutions et nos industries peuvent-elles financer la transition vers un nouveau modèle économique ? Face à des problèmes d’une telle complexité, une réponse simple ne suffit pas. C’est pourquoi le Collège de France, lieu unique où tous les savoirs se croisent et s’enrichissent mutuellement depuis sa fondation, a mis en place l’initiative « Avenir Commun Durable ». Son objectif est de faire dialoguer toutes les disciplines qui habitent l’institution pour apporter des éclairages transdisciplinaires et originaux aux problèmes précédemment évoqués.
La diversité des expertises a toujours fait la richesse de notre institution. Nous voulons mettre cette force au service de la société en livrant des analyses renseignées et des visions débattues à tous les publics – citoyens, entreprises, politiques – désireux d’éclairer leurs actes et leurs décisions. « Avenir Commun Durable » n’a pas pour vocation de prédire l’avenir mais de permettre, à son échelle, son avènement en encourageant des recherches de rupture sur ces enjeux et, dans la grande tradition du Collège de France, en disséminant les savoirs nouvellement acquis. Le défi est de taille mais nous nous engageons avec conviction dans ce combat que nous menons tous collectivement en tant que citoyens d‘un monde en partage.
Pr Jean-Marie Tarascon
Chaire Chimie du solide et de l’énergie
Porteur de l’initiative Avenir Commun Durable