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The Tolo Highway connects the new towns of Sha Tin and Tai Po in the eastern New Territories. The expressway was constructed in three stages between 1985 and 1987.

« Jamais l’automobile n’a été laissée seule, jamais elle n’a été déréglée »

A l’occasion du colloque « Demain, les transports », Mathieu Flonneau, enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est revenu sur l’histoire des transports et de la mobilité, et en particulier celle de l’automobilisme. Il interroge notamment les dynamiques qui ont été à l’œuvre derrière la mise en place d’un véritable écosystème des mobilités automobiles. Alors que les législations sur nos véhicules personnels se durcissent, Mathieu Flonneau rappelle que l’automobilité est aussi un acquis de nos luttes sociales.

[Le texte ci-dessous est une retranscription éditée d’extraits de l’intervention qui a été donnée. Elle est à retrouver en intégralité en fin de l’article ou sur la page Youtube du Collège de France]

« La présentation que je vais opérer devant vous adresse cet instant critique que nous vivons tous aujourd’hui autour de l’histoire des transports. Nous le percevons à travers des apories, éventuellement de la réflexion, des tensions très grandes et d’une anxiété, une angoisse sociale, très présente qui font probablement que même le Collège de France n’échappe plus à cette problématique. Ma foi, c’est heureux qu’elle ne soit pas seulement étudiée par le biais de la technique. La mobilité contredit l’histoire des transports. Je veux dire par là que je ne suis pas spécialiste de technologies automobiles. Je suis spécialiste d’écosystèmes des mobilités automobiles, c’est-à-dire de l’automobilisme. Je prends l’automobile, mais je pourrais prendre d’autres objets de l’histoire des transports, comme étant un support à une histoire prioritairement politique, sociale, sociologique, patrimoniale et secondairement technologique. En effet, la question de l’acceptabilité technique, dans une période de transition mobilitaire comme celle que nous vivons, est primordiale.

[…]

Dans le dernier numéro de la Revue politique et parlementaire, j’avais posé la question de la valeur absolue et du prix relatif de l’automobilisme dit « archaïque », car nous l’archaïsons beaucoup quand même, par rapport à ce qui nous est promis demain. Et que je perçois comme une somme de renoncements aux souverainetés, éventuellement industrielle. Au plus haut niveau de la Commission européenne, on commence à s’interroger sur les implications réelles de ce qui a été décidé pour 2035 [c’est-à-dire la fin de la vente de véhicules neufs à moteur thermique]. Ils prévoient une clause de revoyure à 2026. C’est-à-dire qu’on a déjà ménagé le public vers une révision de cette politique un peu absolue. Autrement dit, dans l’article que j’évoquais, je reposais la question du sens fallacieux de l’histoire : Pourquoi en est-on parvenu à ce niveau de dépendance quasiment « maladive » à l’automobile ? Parce que nous l’avons beaucoup consenti, ce qui est oublié par révisionnisme et amnésie. Parce que l’automobilisme a apporté beaucoup de réponses, de solutions à nos sociétés. Jean-Marc Jancovici, brillant ingénieur-orateur, le dit : le moindre de nos concitoyens, et nous-même, vivons comme si nous étions dans l’Antiquité avec à notre disposition 600 esclaves [mécaniques]. Il va falloir beaucoup transpirer pour renoncer à cette civilisation que nous avons chèrement désirée et pour laquelle des générations entières, notamment celle des « Trente Glorieuses » chargée « de tous les maux », ont durement travaillé pour l’acquérir. La référence qui a été donné tout à l’heure par notre collègue économiste Marc Ivaldi est celle du SMIC. Le SMIC est une conquête sociale, une conquête de régulation sociale, une conquête de progrès social et une conquête de redistribution sociale. Est-ce que les sociétés contemporaines sont prêtes, toujours, à accepter ces sacrifices ? Le sens fallacieux de l’histoire est aussi le révisionnisme qui est appliqué à cette histoire, qui vise à déconstruire celle de la « Révolution industrielle » comme étant celle des catastrophes. Oui, à ceci près que l’on peut relever avec ironie que c’est cette histoire de catastrophes qui a doublé l’espérance de vie du citoyen moyen dans nos populations occidentales mais également à l’échelle mondiale ! C’est ceci bien évidemment qui aujourd’hui pose un réel problème. Il y a peut-être aujourd’hui un danger à nier tout simplement le lieu de mémoire heureux qu’a été la conquête de l’automobilisme dans nos sociétés.

[…]

Il y a eu tout un processus de civilisation, d’acclimatation et de mise en place de règles. Jamais l’automobile n’a été laissée seule, jamais elle n’a été déréglée. Tout l’enjeu aujourd’hui sur l’incivilité des circulations déréglées ou ubérisées de la métropole parisienne notamment tient justement à ça : d’anciennes réglementations sont qualifiées d’archaïques alors qu’elles faisaient tenir le système lorsqu’elles étaient respectées. Toute cette naturalisation de l’automobilisme a été négociée, a fait l’objet de débats avec une sphère de décideurs qui a discuté des panneaux, de la signalisation des bords de route. C’est tout un écosystème qui s’est construit. Il ne se serait pas construit sur le mépris des populations. Il s’est construit avec elles. C’est pourquoi dans une ville comme Paris, il y a eu une négociation. Il n’y pas eu de publicité mensongère autour de l’automobile. Il y a eu une adaptation réciproque entre la ville et l’automobile.

[…]

Il n’y a pas de brutalisme qui puisse être accepté, il n’y a pas d’idéologie dominante et exclusive qui puisse être acceptée en termes de mobilité.

[…] »

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