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Le nucléaire et le gaz, des énergies de transition en question

La Commission européenne a mis à jour (janvier 2022) sa taxonomie des énergies durables en y incluant le nucléaire et le gaz. Ce document a pour but d’orienter dans les prochaines décennies les financements et les investissements privées vers des énergies « vertueuses » clairement identifiées. L’ajout des deux sources d’énergie précédemment citées fait débat. Ce texte s’intéressera aux fondements scientifiques et réglementaires ayant motivé le choix de la Commission.

[Cet article s’appuie sur un entretien avec le Pr Marc Fontecave, titulaire de la chaire Chimie des processus biologiques au Collège de France. Son dernier livre Halte au catastrophisme ! paru aux éditions Flammarion présente un état de nos connaissances dans tous les domaines de la transition énergétique et des enjeux qui l’accompagnent]

Dire que le nucléaire et le gaz sont des sources d’énergie contestées est un euphémisme. Les réactions de la communauté européenne à leur intégration dans la nouvelle taxonomie « verte » (janvier 2022) de l’Union européenne le montrent à nouveau. L’Autriche, le Luxembourg, l’Espagne et le Danemark ont déjà affirmé leur opposition à cette décision et demandent à ce que le gaz et le nucléaire soient retirés de la taxonomie. L’Allemagne de son côté souhaite conserver le gaz qui permettrait à court-terme « une sortie rapide du charbon » mais souhaite écarter le nucléaire. La France, enfin, milite pour le maintien du nucléaire. L’imbroglio est complet.

La taxonomie est, rappelons-le, un moyen pour la Commission européenne « de guider et de mobiliser les investissements privés en faveur des activités nécessaires pour parvenir à la neutralité climatique dans les 30 prochaines années » et, dans ce cadre, « le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter le passage vers un avenir s’appuyant majoritairement sur les énergies renouvelables ». De manière plus prosaïque, cette taxonomie permettra aux entreprises privées investissant dans les énergies listées de faire valoir leur bonne volonté à répondre aux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).

Au-delà des considérations politiques et géopolitiques pouvant expliquer les positionnements des différents gouvernements, il est légitime d’interroger les fondements scientifiques de la décision de la Commission européenne et ce que cela implique en pratique en termes de réglementation. Pour commencer, il est important d’insister sur le fait que la Commission ne considère pas le nucléaire et le gaz comme des énergies « vertes » mais bien comme des énergies « de transition » qui auraient leur utilité pour remplacer les énergies fossiles plus polluantes comme le charbon. Dans cet optique, l’argument fait sens. Aujourd’hui, produire 1 kWh d’électricité avec du charbon génère autour de 820 gCO2éq. En comparaison, une centrale à gaz émet pour 1 kWh 490 gCO2éq et une centrale nucléaire à peine 12 gCO2éq, soit 68 fois moins que le charbon (chiffres issus du rapport 2014 du GIEC). Parmi les énergies renouvelables, seul l’éolien fait mieux que le nucléaire (11 gCO2éq/kWh contre 45 gCO2éq/kWh pour le solaire et 24 gCO2éq/kWh pour l’énergie hydraulique).

Intensité carbone de la production électrique en Europe (25 février 2022 à 09:00).
Intensité carbone de la production électrique en Europe (25 février 2022 à 09:00). L'intensité carbone de la France est la plus basse d’Europe de l'ouest en raison principalement de son parc nucléaire.

Les chiffres le démontrent. Le gaz n’est pas une panacée car cette source d’énergie reste fortement émettrice de CO2. D’ailleurs, la Commission européenne ne s’y trompe pas : Les investissements concernant le gaz ne pourront bénéficier de la taxonomie qu’en respectant des conditions strictes. La Commission impose en effet que les centrales à gaz, qui obtiendront leur permis de construire avant 2030, émettent moins de 270 gCO2éq/kWh. Passé 2030, ce seuil sera abaissé à 100 gCO2éq/kWh. En somme, cela revient à abaisser l’intensité carbone des centrales à gaz d’un facteur 2 puis 5. Ces seuils d’émission fixés par l’Europe peuvent intriguer. Comme le précise le Pr Marc Fontecave, titulaire de la chaire Chimie des processus biologiques au Collège de France, le respect de ces nouvelles normes parait difficilement tenable car les centrales à gaz sont optimisées depuis longtemps. Les marges de manoeuvre pour réduire leurs émissions de CO2 sont limitées. La mise en place de seuils ambitieux pourrait alors s’expliquer par la volonté de la Commission d’encourager la recherche et le développement de technologies CSUC (ou captage, utilisation et stockage du carbone) ainsi qu’un recours accru au biogaz.

La technologie CSUC consiste à piéger les gaz à effet de serre produits par la combustion de ressources fossiles avant qu’ils ne soient émis dans l’atmosphère pour ensuite les stocker dans le sous-sol sur des temps très longs ou pour les réutiliser comme matière première (production de carburants synthétiques, de médicaments ou de biens à forte teneur en carbone).

Concernant le nucléaire, le débat ne porte plus sur ses émissions de gaz à effet de serre associées. Avec une intensité carbone de 12 gCO2éq/kWh, l’efficacité des centrales nucléaires n’est plus remise en question. L’opposition à l’entrée de cette source d’énergie dans la taxonomie « verte » repose plutôt sur les risques pressentis dans le fonctionnement des centrales et la gestion des déchets radioactifs. Le Pr Marc Fontecave précise, en réponse à ces craintes, que la filière nucléaire est l’une des plus réglementées dans le monde, et en particulier en France. Des études scientifiques montrent en plus qu’une solution durable de stockage des déchets serait de les enfouir à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans une couche géologique stable. De cette façon, ils seraient inaccessibles au public et les risques de fuite de la radioactivité vers la surface seraient extrêmement faibles, voire inexistants. Des pays comme la France, la Suède ou la Finlande ont fait ce choix. La Commission impose aussi de son côté des normes strictes : Toute nouvelle construction de centrale devra présenter 1) des garanties pour le traitement des déchets nucléaires et le démantèlement des installations et 2) un permis de construire établi avant 2045. De plus, la réalisation de travaux pour prolonger la durée de vie des réacteurs actuellement en service devra être autorisée avant 2040. La décision de la Commission s’appuie sur un travail d’experts accessible ici (en anglais) qui peut être librement discuté.

Au vu des restrictions envisagées, l’intégration du gaz et du nucléaire dans la nouvelle taxonomie s’inscrit dans un cadre réglementaire rigoureux fondé sur des considérations scientifiques et techniques étayées. L’Union européenne insiste bien sur le fait, et il est important de le rappeler en conclusion de ce texte, que le nucléaire et le gaz n’ont pas vocation à se substituer aux énergies renouvelables. Ces énergies doivent permettre aux pays membres de très rapidement réduire leurs émissions de gaz à effet de serre avant le déploiement complet de solutions alternatives bas-carbone.

Pour approfondir :

Communiqué de presse de la Commission européenne – Taxinomie de l’UE : la Commission entame des consultations auprès d’experts sur un acte délégué complémentaire couvrant certaines activités dans les secteurs du nucléaire et du gaz.

Rapport d’expertise de la Commission européenne sur le nucléaire.

Questions-réponses du gouvernement français sur la neutralité carbone et la taxonomie.

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