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Les savoirs autochtones, un atout pour le climat

Les savoirs autochtones n’ont pas été pris au sérieux pendant longtemps. Ils ne bénéficiaient pas de véritable protection juridique internationale avant le XXIe et n’étaient pas considérés comme des connaissances capables d’informer les processus normatifs, contrairement à la science. Pourtant, depuis quelques années, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) recommande que ces savoirs soient pris en compte dans les processus décisionnels afin de lutter plus efficacement contre les changements climatiques.

[Cet article s’appuie sur un entretien avec la Dre Camila Perruso, post-doctorante à l’Université de Fribourg et chercheure associée à la Chaire Droit international des institutions au Collège de France. Ses travaux sur les savoirs autochtones s’inscrivent dans le projet intitulé Institutionnaliser le droit de l’homme à la science dirigé par la professeure Samantha Besson et récemment financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique]

Les effets néfastes du réchauffement climatique sont aujourd’hui visibles sur tous les continents. Néanmoins, tous les territoires ne sont pas égaux face aux bouleversements en cours et à venir. Les forêts tropicales humides, les régions polaires, les hautes montagnes, les petites îles, les régions littorales et les terres arides et semi-arides sont particulièrement exposées. Ces zones géographiques vulnérables sont souvent habitées par des peuples autochtones [descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l’époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l’occupation, la colonisation ou d’autres moyen – Haut Commissaire aux droits de l’homme]. Leurs rapports au monde, et notamment à la nature, sont différents de ceux qui prédominent dans les sociétés dites occidentales. Comme le montre Philippe Descola, ancien titulaire de la chaire Anthropologie de la nature, la frontière nette que nous traçons entre « la nature » et « la culture » ne fait pas sens pour eux. Leur perception du vivant englobe souvent sur un pied d’égalité les humains, la faune, la flore et parfois même les choses inanimées comme les pierres ou les fleuves. Philippe Descola a longuement étudié cette dualité et les distinctions que font ou ne font pas les sociétés. Il découle de cette vision du monde et des rapports étroits des peuples autochtones à leur environnement des savoirs locaux fondés sur l’expérience, l’observation du milieu et les rituels qui se transmettent de génération en génération. C’est qu’il est possible de nommer « savoirs autochtones ».

« Dans toutes les régions du monde vivent des peuples autochtones, qui détiennent, occupent ou utilisent 22% des terres de la planète. Au nombre de 370 à 500 millions, les peuples autochtones représentent plus de la moitié de la diversité culturelle du monde ; ils ont créé et parlent la majorité des quelque 7 000 langues vivantes. Nombre d’entre eux souffrent encore de marginalisation, d’extrême pauvreté et autres violations des droits humains. » – UNESCO

Quand la science occidentale se veut basée sur une forme de connaissance objective, les savoirs autochtones s’appuient eux sur une culture du groupe et des expériences vécues. Ils paraissent en comparaison très subjectifs. Pourtant, de nombreux travaux issus de l’anthropologie, de la sociologie et des sciences de la nature ont montré que la gestion des milieux par les peuples autochtones est exemplaire avec des conséquences positives notables sur la conservation, la restauration et l’utilisation durable de la nature. Il en ressort que ces savoirs sont de plus en plus pris en compte par les plateformes scientifiques environnementales internationales comme le GIEC et l’IPBES [Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques], même si la manière de les intégrer à « l’état des connaissances » en matière de changements climatiques ou d’érosion de la biodiversité en est encore à ses prémices.

Il faut donc explorer les voies possibles pour bâtir des passerelles entre ces deux systèmes de connaissances, la science et les savoirs autochtones, sans que ces derniers ne soient appréhendés de façon instrumentale ou assimilés à la première. Et cela pour au moins deux raisons. La première est d’ordre pragmatique. Les peuples autochtones ont démontré leurs connaissances et leur savoir-faire dans la gestion de leur environnement, car ils connaissent les cycles de la nature qui les entourent. Intégrer leurs réflexions aux politiques de gestion et de préservation des milieux, permettrait de bénéficier d’expertises locales adaptées aux réalités du terrain. La seconde raison est d’ordre ontologique. S’intéresser à la cosmovision des peuples autochtones est aussi une opportunité de (re)mettre en question des modèles de société fondés sur une surexploitation effrénée de l’environnement.

C’est ainsi que l’un des objectifs du projet « Institutionnaliser le droit de l’homme à la science » consiste à analyser les dimensions institutionnelles de l’inclusion des savoirs autochtones dans le champ de ce droit humain. Si, d’une part, les aspects relatifs aux interactions entre la science et les savoirs autochtones sont susceptibles d’élargir le contenu même du droit à la science, d’une autre part, la participation des peuples autochtones à l’entreprise scientifique impliquera d’identifier les obligations à la charge des États et d’autres acteurs internationaux en vue de la rendre plus effective. Cette ouverture aux perspectives des peuples autochtones et à leurs savoirs dans le cadre du droit de l’homme à la science pourra contribuer à renforcer la diversité culturelle, indispensable pour faire face aux problématiques contemporaines, y compris climatiques.

Pour approfondir

La Dre Camila Perruso publiera dans le Journal européen des droits de l’homme (1/2022), un article intitulé « Les peuples autochtones face à l’urgence climatique, entre vulnérabilité et résistance ». En plus d’approfondir les pistes de réflexion évoquées ci-dessus, elle analyse le rôle des peuples autochtones et de leurs savoirs face aux changements climatiques.

Les cours du Pr Philippe Descola, ancien titulaire de la chaire Anthropologie de la nature, sont librement accessibles sur le site internet du Collège de France et certaines de ses interventions sont à retrouver sur la chaîne Youtube de l’institution.

En 2011-2012, la Pre Manuela Carneiro da Cunha a été invité sur la chaire Savoirs contre pauvreté. Ses enseignements ont porté sur le thème de « Quelle nature, quels apports des savoirs autochtones ? »

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