Skip to content
A hiker on the summit of Gentoo Peak, in Alaska's Chugach State Park, with upper Turnagain Arm in the background. Gentoo Peak is one in a handful of prominent peaks and points on the Penguin Ridge traverse between Girdwood and Bird.

Face au défi de l’effectivité

Laurence Boisson de Chazournes, professeure invitée pour l’année 2022-2023 sur la chaire Avenir Commun Durable, a organisé le 12 mai 2023 au Collège de France un colloque international sur le thème de « Le droit international de l’environnement face au défi de l’effectivité ». Le texte ci-dessous est une retranscription de son discours d’introduction.

L’ensemble des interventions est à retrouver sur la chaîne Youtube de l’institution.

Le droit international de l’environnement s’est beaucoup étayé depuis les années 1970. Un grand nombre d’accords et d’instruments de portée régionale et universelle ont été adoptés. Souvent présenté comme un droit empreint de jeunesse, il a néanmoins atteint une certaine maturité, même s’il présente des faiblesses normatives et institutionnelles.

Dans ce contexte, la question de la création du droit international de l’environnement devient de moindre pertinence. Les attentes sont désormais tournées vers sa mise en œuvre, son application, ce que l’on dénomme son effectivité. La notion d’effectivité renvoie à la traduction du droit dans les faits. On la distingue généralement de l’efficacité, bien que ces notions soient souvent utilisées de manière interchangeable. L’efficacité correspond à l’adéquation de la règle – du principe – aux fins proposées. Soulignant les liens entre ces deux notions, l’expression anglaise effectiveness couvre tant l’effectivité que l’efficacité.

On pourrait de prime abord considérer que l’effectivité est une question un peu redondante. Jean Carbonnier disait que « la plupart des règles de droit […] comportent un pourcentage toujours appréciable, parfois considérable, d’ineffectivité »[1]. Bien que l’on puisse admettre que l’ineffectivité soit, pour une part, naturelle à la règle de droit[2], l’objet du présent colloque interroge la présence d’obstacles, de difficultés dans un domaine particulier, celui de la protection de l’environnement, et suggère la nécessité d’un déploiement d’efforts supplémentaires pour assurer l’application concrète des règles et principes en vue de protéger l’environnement. L’urgence écologique de notre époque rend indispensable le renforcement des règles en ce domaine. Afin d’y parvenir, on s’interrogera notamment sur l’impact du droit international de l’environnement face aux changements globaux et planétaires (session 1), mais on devrait également prendre en compte l’appréciation de ces facteurs à l’échelle régionale et locale. La question de l’effectivité face aux enjeux globaux et planétaires repose en partie sur la transposition des normes à l’intérieur des États et sur les compétences environnementales des autorités locales. Les échelons planétaires, régionaux et locaux vont de pair et sont liés.

L’analyse de l’effectivité doit prendre en considération les difficultés en présence, tant celles relatives aux outils juridiques qui tentent d’y remédier ainsi que l’on vient de le mentionner, que celles qui sont scientifiques et empiriques et qui causent l’altération de notre environnement.

Il est en effet nécessaire de compléter l’analyse juridique par des approches sociologiques, sinon de type comportemental. Cela nous amène à nous intéresser à l’influence du droit sur les comportements individuels et collectifs. Le droit joue un rôle majeur dans l’orientation et la structuration de la morale sociale. Qu’est-ce qui devrait donc être fait pour que le droit international de l’environnement forge au mieux l’identité et la défense des valeurs sociales en cause ? La question de l’attribution de la personnalité juridique à des composantes de la nature nous permettra de réfléchir à ce défi. Comme on le verra, à l’échelle nationale, une tendance émerge reconnaissant une personnalité juridique à des entités naturelles selon des méthodes qui peuvent différer. Ce mouvement introduit de nouvelles formes de relations sociales et de gouvernance, notamment en impliquant les populations locales et autochtones, avec une réintégration de la nature dans la vie des citoyens[3] (session 3). On se demandera si ces approches peuvent être transposées en droit international.

Le droit peut aussi être appréhendé comme « reflet de l’état de l’opinion » »[4]. Y a-t-il un écart entre l’état du droit et l’état de la société qui serait source d’ineffectivité ? Différentes questions viennent à l’esprit. Comment ce droit peut-il être mis en œuvre lorsque l’objet de la réglementation est complexe, comme dans le cas de la protection des écosystèmes basée sur la notion d’interrelations ? Que peut faire le droit international pour relever les défis du changement climatique, tel que les problèmes liés à l’élévation du niveau de la mer ?

Une autre question est celle de la sanction, ou de son absence. Quel type de sanction est approprié ? Une solution pour résoudre l’ineffectivité du droit international de l’environnement consiste à introduire de nouvelles incriminations en droit pénal, tel, par exemple, l’écocide. Mais n’y a-t-il pas d’autres formes de sanctions qui devraient être envisagées ? Est-ce que nous ne devrions pas plus nous pencher sur la dimension finaliste du droit international de l’environnement, celle visant à assurer la protection de la santé humaine, de la dignité humaine et de garantir la conservation du milieu et du vivant ? Est-ce qu’une meilleure élucidation des finalités pourrait permettre de renforcer l’effectivité du droit de l’environnement ? Le renforcement des alliances entre la protection de l’environnement et les droits de la personne humaine va dans ce sens (session 2). Nous verrons comment l’environnement est progressivement reconnu comme une condition sine qua non de la satisfaction des droits fondamentaux.

En dernier lieu, remarquons que rôle du juge est un marqueur des évolutions qui se font jour. Les précurseurs de la sociologie juridique ont systématisé la conception d’une jurisprudence sensible aux mouvements et attaches sociales. Les contentieux nationaux dans le domaine de la protection de l’environnement illustrent cette prise en compte des dynamiques alliant droit et objectifs sociaux recherchés. Les décisions de la Cour internationale de Justice et du Tribunal international du droit de la mer ont permis pour leur part de préciser les obligations des États en matière de préservation de l’environnement. Les récentes demandes d’avis consultatifs déposées devant ces dernières instances et relatives aux obligations des États dans le domaine des changements climatiques, soulignent la demande sociale d’une judiciarisation de la mise en œuvre du droit international de l’environnement, notamment eu égard à la protection des intérêts communs, et cela afin d’objectiver le droit applicable pour et par tous (session 4). Que ce soit en droit international, à l’échelle universelle ou régionale, ou en droit interne, le juge contribue aux évolutions actuelles du droit de l’environnement en quête d’une meilleure effectivité. Ici aussi la question traverse les différents échelons de gouvernance.

La question de l’effectivité du droit international de l’environnement est plus que jamais d’actualité, et doit sans cesse être actualisée. Le présent colloque, organisé sous forme de quatre tables rondes, nous offrira l’opportunité de réfléchir à cette problématique.

––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

[1] J. Carbonnier, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », L’Année sociologique (1940/1948), 1957-58, Troisième série, Vol. 9, Presses universitaires de France, Paris, 1958, p. 11.

[2] Ibid., p. 17.

[3] Comme l’explique T. Perroud dans son analyse du cas de Mar Menor : « Vers une gouvernance démocratique du domaine public à travers la personnalité juridique des entités naturelles. Le cas de Mar Menor », Chemin Publics, 12.10.2022 : https://www.chemins-publics.org/articles/vers-une-gouvernance-democratique-du-domaine-public-a-travers-la-personnalite-juridique-des-entites-naturelles-le-cas-de-mar-menor.

[4] P. Lascoumes, E. Serverin, « Théorie et pratiques de l’effectivité de droit », Droit et société, n°2, 1986, p. 110.

Pour approfondir

La Pre Laurence Boisson de Chazournes était l’invitée de la RTS (Radio Télévision Suisse) le lundi 27 mars 2023. A l’issue du sommet sur l’eau organisé par les Nations-Unis entre le 22 et le 24 mars 2023, elle s’est exprimée sur ce grand rendez-vous, ses enjeux et le rôle qu’elle y a joué (intervention à 12 min 47).

La Pre Samantha Besson, titulaire de la chaire Droit international des institutions, mène ses recherches à l’interface du droit international, du droit européen et de la philosophie du droit. Dans un entretien récent, elle est revenue sur les enjeux et les limites du « droit international de l’environnement » et sur le recours croissant aux « droits de l’homme » pour en pallier les faiblesses.

Les savoirs autochtones n’ont pas été pris au sérieux pendant longtemps. Ils ne bénéficiaient pas de véritable protection juridique internationale avant le XXIe et n’étaient pas considérés comme des connaissances capables d’informer les processus normatifs, contrairement à la science. Pourtant, depuis quelques années, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) recommande que ces savoirs soient pris en compte dans les processus décisionnels afin de lutter plus efficacement contre les changements climatiques. Un entretien avec la Dre Camila Perruso, post-doctorante à l’Université de Fribourg et chercheure associée à la Chaire Droit international des institutions au Collège de France.

Faire un don