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The Value of Clean Water

L’eau, un besoin vital pour les hommes : que peut le droit ?

Pendant longtemps, l’eau a été considérée trop facilement, en tout cas sous nos climats tempérés, comme une ressource abondante, exploitable à l’infini. Le stress hydrique qu’a connu la France pendant l’été 2022, et qu’elle devrait connaitre à nouveau, a été un douloureux retour à la réalité. Réalité actée lors de l’organisation d’un sommet spécial de l’ONU sur le sujet entre le 22 et 24 mars 2023 et l’annonce d’un plan « eau » par Emmanuel Macron à la même période. Alors que les tensions et les litiges risquent de se multiplier autour de cet « or bleu », il serait intéressant de voir ce que le droit, qui risque de plus en plus d’être mobilisé, nous dit sur cette problématique.

[Heureux hasard du calendrier, l’initiative Avenir Commun Durable a accueilli en 2022-2023 sur la chaire du même nom la Professeure Laurence Boisson de Chazournes, juriste, dont l’enseignement a porté sur « le droit international au fil de l’eau ». Cet article s’appuie sur son cours du 27 janvier 2023 dont la rediffusion intégrale est à retrouver en bas de page.] 

Ouvrir un robinet, voir couler de l’eau. Ce geste et sa conséquence immédiate, de prime abord très habituels, ne sont en réalité pas toujours anodins. En effet, en 2019 selon l’OMS et l’UNICEF, 2,2 milliards de personnes n’avaient toujours pas accès à des services d’eau potable gérés de manière sûre. Qui plus est, l’eau était et demeure en bien des régions du globe une ressource rare.

Dès les années 1990, les institutions internationales ont voulu promouvoir l’accès à l’eau et son assainissement, conscientes que ce précieux liquide est vital aux êtres humains.  Ainsi le droit international portant sur les ressources en eau a connu un vent d’humanisation marqué où les individus se sont retrouvés au centre de toutes les attentions. L’eau n’était plus un élément purement économique mais un élément indispensable à la satisfaction des besoins des personnes.

Au sein des instances internationales, la promotion de l’accès à l’eau pour tous s’est progressivement consolidée en un droit humain à l’eau au fil des textes et des évolutions de l’ordre juridique mondial. Sans rentrer ici dans les détails, si une définition exacte de ce droit n’existait pas vraiment, un consensus a fini par émerger. Nous présenterons en particulier la définition donnée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies en 2002 : « [l]e droit de de l’homme à l’eau donne à chacun le droit à une eau suffisante, salubre, acceptable, physiquement accessible et d’un coût abordable pour les usages personnels et domestiques ».

En plus des critères mentionnés dans les lignes précédentes (en gras dans le texte), l’équité, le respect de l’état de droit et le principe de non-discrimination ont également été mis en avant pour universaliser et donc promouvoir plus avant ce nouveau droit. Cette démarche a permis de forger un dialogue égalitaire et positif qui met au défi les États de répondre aux objectifs d’accès et d’assainissement fixés. Si le droit à l’eau s’est d’abord formalisé au niveau international, il tend peu à peu à être intégré dans les législations nationales.  La Slovénie, par exemple, a été le premier État européen à reconnaître ce droit dans sa constitution. D’autres pays tels que l’Arménie, la Bolivie, le Cambodge, le Chili, le Costa Rica, la République démocratique du Congo, l’Equateur, le Kenya, la Namibie, le Niger, le Nicaragua, l’Ouganda et l’Uruguay l’ont aussi intégré dans leur constitution ou leur cadre législatif. Cette multiplication des reconnaissances provoque un effet d’entraînement puisque certains tribunaux nationaux n’hésitent plus à se référer aux observations des organes des droits de l’homme ou aux résolutions des institutions internationales pour faire valoir le droit à l’eau dans certaines décisions de justice locales.

Cependant, la satisfaction des besoins humains n’est plus depuis quelques années le seul critère dans l’institutionnalisation de ce droit. En effet, les questions environnementales, et notamment la question climatique, commencent à prendre une position centrale dans le débat. Le droit international appuie progressivement l’idée d’un lien de cause à effet entre le maintien d’un environnement sain et la protection des écosystèmes et un approvisionnement durable en eau. Ce constat a permis à plusieurs peuples autochtones de faire valoir leurs droits sur leurs terres ancestrales au motif que leur droit d’accès à une eau potable et non-polluée avait été bafoué (voir l’affaire Lhaka Honhat Association (Our Land) v. Argentina). Une articulation commence ainsi à se faire jour entre le droit humain à un environnement sain et le droit à l’eau.  Les contraintes hydriques à travers le monde risquent d’accélérer le processus.

 

Cours du 27 janvier 2023 : Les dimensions individuelles et collectives de l’accès à l’eau

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Pour approfondir

La Pre Laurence Boisson de Chazournes était l’invitée de la RTS (Radio Télévision Suisse) le lundi 27 mars. A l’issue du sommet sur l’eau organisé par les Nations-Unis entre le 22 et le 24 mars, elle s’est exprimée sur ce grand rendez-vous, ses enjeux et le rôle qu’elle y a joué (intervention à 12 min 47).

La Pre Samantha Besson, titulaire de la chaire Droit international des institutions, mène ses recherches à l’interface du droit international, du droit européen et de la philosophie du droit. Dans un entretien récent, elle est revenue sur les enjeux et les limites du « droit international de l’environnement » et sur le recours croissant aux « droits de l’homme » pour en pallier les faiblesses.

Depuis quelques années, les législateurs, les juristes et les tribunaux font preuve d’inventivité pour adapter le droit aux questions environnementales. Malheureusement, l’exercice présente quelques difficultés. Parmi ces dernières, se trouve le fait que notre pensée juridique est irriguée par une tradition antique fortement anthropocentrique, selon laquelle la nature peut être exploitée sans limite par l’homme. Une tradition très influente mais souvent implicite, qu’il convient donc de porter à la lumière pour mieux en évaluer le potentiel et les limites. Une réflexion du Pr Dario Mantovani.

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